lundi 29 mai 2017

7 jours quinzaine


Je suis étonné de l’aimer ce métier. Je l’ai choisi entre tous et je le pratique en toutes saisons dans des conditions hostiles, des odeurs qui prennent à la gorge. En hiver, le vent me gifle et le verglas me pince les joues. Quand le patient que je porte dans l'escalier m’ordonne sans manières​ de lui couvrir les pieds parce qu'ils dépassent de la couverture, j'ai la mâchoire qui se crispe. Il ne me remercie pas. Il ne remercie pas non plus la serveuse chez St-Hubert. Je sais qu'il ne remercie personne. 

Encore un bachelor... S'éreinter. S'éreinter encore. 


Je suis étonné de l'avoir sous la peau ce job. La bile des inconnus enduit mes gants. Il y a souvent des selles molles à interroger. Je préserve leur dignité dans les minuscules salles de bain. On ne me cache rien de sa nature ingrate, on me la crachote au visage. On teste les limites de mon empathie, pour voir jusqu’où j’irais, pour voir à quel point je suis commis à la profession. J’évite des pièges tendus par des gens qui s’ennuient, qui doutent de tout, surtout de ma bonté.


Ravaler. Faire des yeux ronds à son partner.


Même si parfois on me confond avec un chauffeur, un laquais au service de Madame, j’embrasse ce « service à la clientèle » si particulier. Le réconfort que je prodigue compte plus que n’importe quel questionnaire systémique. Mes patients ne se sentent pas jugés. Avec moi, ils retrouvent une voix, un sourire, le flot de leurs larmes réprimées. Je fais mon possible afin qu’ils ne regrettent pas de m’avoir ouvert la porte de leur chaumière. Il n’y a qu’à moi qu’ils ouvrent la porte de cette manière, entrebâillée à mon arrivée. Il n’y a que moi pour m’y immiscer comme je le fais, ménageant le privilège qui m’est accordé.


Je me plais à penser que je fais une différence. Rarement en me braquant contre la mort. Souvent en étreignant la vie.


Si un événement les dépasse, leur semble insurmontable, ils font appel à moi. Ils pensent que je suis paré à toutes éventualités et ils ont raison. L'exception est ma norme, je suis «tout-terrain». Vaste entrepôt, minuscule cubicule, sentier équestre ou repère illicite, partout je taille ma place.


J'ai un laissez-passer pour les secrets bien gardés. 


Parfois, je me surprends à être heureux, vraiment. C’est quand le ciel est cristallin et la brise caressante. Au moment où je mets le doigt sur le bobo. Lorsque je traverse la ville en son flanc pour répondre à une « vraie urgence » ou que je sépare les flots d’un trafic dense. Quand je rigole avec mes collègues, que je me bidonne avec ma partner. Ma partner, humaine, solide et rigoureuse. Savoir que l'on peut compter l’un sur l’autre.

Je soutire un peu de magie de ce sombre quotidien. Cet écureuil effaré qui courait devant moi sur le boulevard et moi qui répondais à une priorité 1, je l'avais suivi avec mes gyrophares sur une centaine de mètres (le gars à côté comprenait rien, moi non plus). La game de pétanque qui avait mal tourné au camp nudiste. Cette maquette de Manhattan en cups de lait 2%. Ces gens de caractère, leur collection d’artefacts inusités, leur demeure inchangée depuis 1920. Le drame c'est que la plupart du temps, j'oublie le menu détail de ce quotidien singulier. 


Se demander où sont les caméras ??


La fois que j’ai demandé au policier de me bâtir une rampe d’accès en plywood pour évacuer un traumatisé crânien et qu'il avait agrippé la ceinture à outils abandonnée au sol pour se mettre à clouer des travers. Ce bébé extirpé d’un véhicule submergé qui pleurait à pleins poumons, je l’avais serré contre mon cœur. Rendre un mari à sa femme. 


Arriver là où l’on m’attend, moi. S’y rendre, en chaloupe ou à pied. 


Se rendre à l’hôpital chaque fois, y arriver. Se débrouiller avec peu. Faire en sorte que ça marche. Se revirer de bord si ça marche pas. Ne jamais les abandonner.

J’ignore par quel miracle, mais c’est le plus beau boulot de ma vie.


#jesuisparamedic


Bonne semaine nationale des paramédics les amis.




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