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Je leur raconte le cas
de putréfaction avancée, celui qui avait le scrotum collé au plancher. Mourir
nu, c’est jamais l’idéal. Ou encore cette histoire de suicide manquée, puis
réussie à la deuxième tentative. Je leur explique comment nous avions eu de la
misère à comprendre pourquoi il y avait du sang partout, sur 2 étages, mais un
seul corps.
Pour ce qui est des appels les plus difficiles, la réponse
est simple : les enfants. Ç’a pas rapport que des enfants meurent. Puis,
les cris plaintifs des parents brisés me restent à jamais dans les oreilles.
En vrai, je vous le dis, il y a de ces appels banals qui peuvent vous revirer comme une chaussette avec votre dedans émoussé exposé au dehors.
« Véhicule 241, 2-4-1, priorité 0, féminin 82 ans, arrêt cardiorespiratoire ».
C’est Heart Of Gold qui passe à la radio. Je finis d’engloutir ma sandwich tandis que j’en ai la chance.
Les situations 9-écho-1, à cet âge, ne surprennent pas.
Surtout pas nous. Ce n’est pas parce que nous n’avons pas de cœur, c’est devenu la
routine malgré nous. Nous tentons un protocole de réanimation, puis souvent, nous arrêtons tout. Rien d’énervant. J'aime croire que toute bonne chose à une fin.
C’est un bungalow des années 50. Elle est dans l’état
original. J’aime entrer dans ces maisons. Portique carrelé en damier, Salle de
bain pastel, cuisine de lambris, plancher de chêne, ensemble à diner en
stainless steel, des photos de famille dont certaines sont auréolées d’un effet spécial de
brume. Ça sent le vieux tapis pis les toasts.
La dame est allongée au sol, bleue comme un raisin. Elle
porte une robe de nuit de la même époque que sa maison. Une
policière lui masse le thorax. C’est pas joli.
Un bruit de plume, puis une voix rauque me font sursauter.
« Môman, Môman »: un perroquet dans une cage, bientôt orphelin. Je me
demande s’ils l’ont mis dans leur testament. Ses petites pattes enserrent le
poteau. Il me regarde menaçant puis se met à esquiver des coups imaginaires de gauche
à droite comme un boxeur, énervé.
Un vieil homme aux cheveux blancs épars est assis dans
le salon, les mains sur les genoux, usé à la corde.
Il porte des bretelles et une ceinture sur son pantalon
beige et des souliers laqués. Mon grand-père disait toujours qu’ « un
gars avec des bretelles et une ceinture, ça fait pas confiance à son pantalon ». Il se balance doucement, voûté, silencieux, un policier à ses
côtés.
La policière se tourne vers moi, les joues rougies, la
couette défaite :
— Elle était dans son fauteuil roulant. Son mari était en
train de préparer son petit déjeuner. Pis quand il est allé lui porter sa
compote avec ses médicaments, elle respirait plus. On l’a couché par terre en
arrivant.
Le 9-1-1 a demandé au mari, aidant naturel, d’entamer des
manœuvres mais il en était incapable, il s’est écorché les tibias sur la chaise
roulante en essayant de la soulever.
Nous déposons notre matériel. Je m’agenouille près
d’elle. Dans ma tête, Heart Of Gold joue toujours, malgré
moi, malgré le drame. Ça me fait ça des fois. Mais je me retiens tout de même de
marmonner les paroles.
— Lâche-pas, tu fais ben ça, on va préparer le combitube.
Je branche l’oxygène dans mon masque de poche. Je débute
les ventilations. Je dois succionner des vomissures. Leur DEA demande une
analyse : « choc déconseillé ».
Le combitube est près. Nous
procédons à l’intubation. Après l’auscultation, le massage se poursuit.
Une dernière analyse, puis nous remplaçons le DEA de la police par notre DSA.
Aucun autre choc n’est donné. C’est l’arrêt des manœuvres.
Tandis que mon partenaire l’extube. Je m’affaire à ouvrir
les couvertures de son lit orthopédique dans le séjour, où elle devait camper depuis quelques semaines.
Notre prévoyons l’y déposer une fois débarbouillée,
afin que le mari, auquel nous annoncerons le décès, puisse se recueillir auprès
d’elle.
Je lui dirai « j’ai
une mauvaise nouvelle, le cœur de votre femme a cessé de battre, nous avons
tout tenté, mais il n’y avait plus rien à faire ».
Mais il émerge du salon, hagard. Le policier tente de le retenir :
— Attendez Monsieur, revenez ici, juste une minute, lui
fait-il.
Mais il le repousse doucement de la main, et s’engouffre
dans la cuisine.
— C’est fini? demande-t-il d’une voix très forte, sur le
point d’éclater.
Cette façon de se tenir nous surprend : petit
mais droit, les yeux implorants et le torse plein d’air par-dessus ses
pantalons de toile. Je n’ai pas le temps de lui faire mon speech. Il me prend
les culottes à terre.
— Oui, que je lui réponds.
C’est pourtant simple. C’est fini. Fini. Oui.
Lorsque j’annonce le décès, les mots bien choisis, les
phrases bien tournées font-ils plus de bien à moi qu’aux éplorés?
Il éclate en sanglots. Des sanglots comme vous n’en avez
jamais entendu. Comme j’en ai rarement entendu. Il hurle sa douleur à pleins
poumons, le souffle saccadé. Ses grands yeux bleus, ceux-là qui avaient séduit sa
bonne dame, sont écarquillés. Les larmes mouillent déjà son cou.
— Je veux la voir!
J’avale péniblement ma salive. Il y a du cap d’acier au
pouce carré. Nous ne savons plus où nous mettre.
— Attendez un peu Monsieur, on va vous l’installer, la
nettoyer, tenté-je de le convaincre.
— Je veux voir ma femme, crie-t-il anéanti.
Cette façon qu’il dit « ma femme ». 60 années de
mariage…
Se coucher tous les soirs, voir son visage, éteindre
la lampe. Donner la vie. Couler des jours tranquilles. Les tracas, la maladie,
les deuils. Perdre la jeunesse, la santé, puis le rire et la tête. Tout donner,
chérir son souvenir.
Il s’effondre à ses côtés, tremblotant. Ça l’air de faire
si mal! Le policier essuie une fine larme, au coin de l’œil, pour éviter
qu’elles s’y accumulent. La policière, pragmatique, cherche la carte d’assurance
maladie.
— Donnez-moi une débarbouillette! crie-t-il entre ses
sanglots d’enfants.
Nous nous redressons sous l’ordre. Heureux d’avoir quelque
chose à faire.
— Oui Monsieur, une débarbouillette, go.
Mon partenaire s’élance, trouve un linge dans la penderie,
le mouille puis lui tend.
— Chérie je m’en viens te rejoindre! Je m’en viens te
rejoindre mon amour, lui répète-t-il tandis qu’il la débarbouille.
Il soulève son torse du sol avec peine pour la serrer
contre lui, comme une poupée de chiffon. Nous allons dans le salon en secouant
la tête, parce que c’en est trop de le voir ainsi. Il embrasse son seul amour
véritable.
J’ai la gorge si serrée, c’en est douloureux. Le barrage cède. Je pouffe en un sanglot étouffé, malgré moi. Je suis gêné. Je tourne sur moi-même. Je n’en peux plus. Ça me tire jusque derrière les oreilles. J’ai mal. J’essaie de déglutir, mais c’est coincé.
C’est la première fois que je pleure sur une
intervention.
Mon partenaire sort sur le perron, pour ne pas s’effondrer
lui aussi. Les policiers piétinent. Je dois rester fort pour le pauvre homme.
Je vais le voir. Il me regarde éteint. Je pense que c’est de me voir ainsi les yeux pleins de larmes qui le fait émerger de la douleur. Cette impression que quelqu’un se ligue avec lui contre le malheur. Il me saisit un bras pour se relever. Il m’arrive au menton. Il m’attrape par derrière l’épaule. Je fais pareil. Nous regardons ensemble la femme au sol. Puis, il plante ses yeux bleus dans les miens :
— Comment je vais annoncer ça aux enfants?
— Une chose à la fois, lui dis-je en le tapotant gentiment,
là c’est votre moment à vous.
Il m’agrippe et se plaque contre moi. Je l’attrape entre
mes bras ouverts. Il mouille longuement ma chemise, avant que je l’aide à se
remettre à genoux. Le fait de l’avoir
tenu dans mes bras, et de sentir ses jambes fléchir, me permet de me ressaisir.
Je cherche un mouchoir pour éponger le coin de mes yeux.
Il y a de ces rares moments où la distance, la réserve,
l’empathie, tout ça s’annihile. Ce cas, parmi des milliers, fait de moi un
humain.
I want to live,
I want to give
I've been a miner
for a heart of gold.
It's these expressions
I never give
That keep me searching
for a heart of gold
And I'm getting old.
Keeps me searching
for a heart of gold
And I'm getting old.
I've been to Hollywood
I've been to Redwood
I crossed the ocean
for a heart of gold
I've been in my mind,
I want to give
I've been a miner
for a heart of gold.
It's these expressions
I never give
That keep me searching
for a heart of gold
And I'm getting old.
Keeps me searching
for a heart of gold
And I'm getting old.
I've been to Hollywood
I've been to Redwood
I crossed the ocean
for a heart of gold
I've been in my mind,
it's such a fine line
That keeps me searching
for a heart of gold
And I'm getting old.
Keeps me searching
for a heart of gold
And I'm getting old.
Keep me searching
for a heart of gold
You keep me searching
for a heart of gold
And I'm growing old.
I've been a miner
for a heart of gold.