mercredi 5 novembre 2014

La mince ligne




«Véhicule 241- 2,4,1, priorité 3, masculin 41 ans, problème de comportement »

Une petite femme nous ouvre timidement la porte de la maisonnée. Elle parle d’une voix basse, comme si quelqu’un faisait la sieste. La porte, qu’elle retient d’une main molle, n’est pas complètement ouverte, ce qui fait que nous restons plantés sur le tapis « Bienvenue ».

— C’est pour mon fils.

— Très bien, sait-il que nous avons été appelés?

— Oui, il vous attend.

Elle sort avec nous sur le pavé, guillerette, afin de nous expliquer ce qui en est. Son fils est en proie à des psychoses ponctuelles et bénignes. Avant ces épisodes fâcheux, il gagnait bien sa vie. Il occupait un emploi respectable. Il y était apprécié et primé régulièrement. Elle ressent le besoin de perpétué la mémoire des beaux jours, pour nous ouvrir l'esprit avant la porte.

— Mon fils est un homme très intelligent.

Selon ses dires, son fils se heurte très souvent à un milieu hospitalier condescendant lorsqu’il ne va pas bien. Selon elle, ces préjugés défavorables semblent exacerber ses psychoses et alimenter une agressivité. Elle répète qu'elle le connait, qu'il n'est pas méchant, qu'elle le comprend, «elle». 


Nous entendons son cri du cœur, qui est celui d’une mère inquiète. 


Même si nous recevons ses requêtes à grands coups de hochements de tête formels, et que nous lui accorderons d’emblée le bénéfice du doute, il est clair qu'en aucun cas, nous ne ferons d’entorses à notre sécurité. Mais, nous avons plus d’un tour dans notre trousse.

— On va aller y jaser, ça va ben aller.
Notre moue, paternelle et rassurante, parvient finalement à la convaincre de nous ouvrir la porte sur ce qu’elle a de plus cher au monde.
Le type dans la jeune quarantaine habite dans le sous-sol, chez sa mère. L’odeur de marijuana et le désordre qui y règne rappellent la chambre d’un étudiant. Dans un coin, deux vivariums improvisés sont côte à côte. Le premier héberge des souris à la santé vacillante. Elles ont une vue imprenable sur leur voisin immédiat et prédateur naturel : un énorme serpent inerte est entortillé dans le second. Les trois ordinateurs qui trônent sur un bureau font toute la largeur du salon et valent plus, à eux seuls, que tout le mobilier.

— Salut!! s’empresse-t-il de nous crier alors que nous achevons à peine de dévaler les escaliers.

Il nous attend au fauteuil, les mains sur les accoudoirs, comme sur un trône. On dirait qu’il tente de se contenir. Mais le corps et la main, rétifs, le trahissent. Ses cheveux gras tombent devant ses yeux en de lourdes mèches qu’il laisse lui voiler le regard, comme si c’était l’ultime façon pour lui de se terrer loin du monde extérieur, de tout ce qui l’effraie. Son teint laiteux laisse deviner un confinement volontaire. Les multiples couches de vêtements ne parviennent pas à masquer sa maigreur et laissent tout de même poindre des protubérances osseuses. 


Quand le mal de vivre prend toute la place, il peut usurper toutes les dispositions secondaires, telles la motivation ou l’audace. 


Plus aucun procédé n’est passif. La respiration peut devenir consciente, de même que les battements du cœur que l’on percevra plus soutenus, qui martèlera près des tempes, dans la gorge. La moindre entreprise, comme l’alimentation ou l’hygiène, soutirera toute l’énergie que l’on s’employait à ménager. Les réserves jamais renflouées se solderont toujours sur une dette, jour après jour, jusqu’à ce que l’on attrape une main tendue.

— Salut, que je lui réponds du même enthousiasme.

— Désolé de vous déranger les gars!

— Tu nous déranges pas du tout. Ça ne t’embête pas que je te tutoie.

— Non! rigole-t-il. C’est un rire déjanté, exagéré.
Il m’explique qu’il craint que des gens qui l’ont dans sa mire ne le tabassent. Il avoue ne pas dormir depuis une semaine. Avec l’insomnie, l’anxiété devient ingérable et insoutenable. Il œuvre depuis peu à titre de consultant pour des firmes privées. Il semble se mettre beaucoup de pression au travail.

— Je suis correct là? Tu me trouves correct? Je veux pas de problème.

— Oui je te trouve très correct.

— OK merci! Désolé de te déranger!

Alors, il me livre prudemment, ses plus récents déboires. Sautant du coq à l’âne, il me parle de formules mathématiques, d’astres, de plans de vérifications, de missions et de géologie extraterrestre. Puis, il m’explique comment il s’emploie à prémunir le matériel informatique des tempêtes solaires. J’avoue ne pas le suivre et y percevoir des symptômes évoquant ceux d’une psychose.

Tout au long du transport, il est agité de tics. Par moment, il panique, s’excusant, répétant qu’il ne veut pas d’ennuis. Chaque fois, je me montre rassurant et déporte son attention.
— Ça fait combien de temps que t’es consultant?

— 6 mois. Je veux pas vous faire de marde. S’cusez-moi de vous déranger les gars?

— Ben non voyons!

À l’avant, j’entends sa mère, elle insiste sur le fait que c’est un homme doux. Que des soins lui sont nécessaires dans un centre de soins psychiatriques. Mais elle explique que, comme il est plutôt réfractaire à l'idée de s’y faire conduire et que ce n’est qu’une fois qu’elle ne lui laisse plus le choix qu’elle fait appel aux services, il tombe chaque fois dans les dédales bureaucratiques du système de santé. Il est alors contraint de se rendre à l’hôpital d’appartenance la plus près. Elle déplore que cette dernière ne soit pas parfaitement adaptée aux besoins de son fils et appréhende une mauvaise prise en charge. Elle semble avoir conserver le souvenir amer d'une pénible expérience. Il faut dire que j’ai vu plus d'une maman ourse se braquer contre des soins jugés inadéquats, se rebiffer contre le personnel soignant, refusant obstinément de leur accorder leur confiance par peur, par amour. Mais, cette dernière est calme. Bien qu’elle espère pour le mieux, elle se laisse malgré tout porter vers l’aval.

Dans la cabine de soins, mon patient renchérit sur ses angoisses à propos des tempêtes solaires. C’est une peur grandissante et il se dit incapable d’en détacher son esprit, y pensant jour et nuit. J’aimerais l’apaiser, mais je n’ai malheureusement rien à lui dire au pauvre gars, n’y connaissant strictement rien en tempête solaire. Lui, semble selon moi avoir passé quelques heures sur Wikipédia à démystifier le sujet. Je lui conseille alors humblement de délaisser internet, si cela est anxiogène. Il se contente de sourire. C’est un sourire empreint d’une résignation tranquille. C’est le moment où je dénote le plus de lucidité depuis notre rencontre.

Tout en discutant avec lui, j’éprouve une réelle empathie. Nombreux sont ceux qui ne peuvent émerger du cauchemar en s’éveillant. 


On réalise trop peu le privilège qu’est celui de se promener allègre dans la réalité, en plein contrôle de celle-ci.


Une fois à l’hôpital, on le prend en charge comme un oisillon tombé du nid. Les infirmières de l’évaluation et de l’aire de traitement s’échangent un rapport verbal teinté d’humanité et avec le préposé aux bénéficiaires attitré à la psychiatrie, qui en a vu d’autre, le couvrent de bons soins. Ils l’accueillent comme s’il faisait son entré dans un bed and breakfast et ç’a quelque chose de rassurant. Je ne dénote pas la moindre arrogance, ni l’ombre d’un mépris, ni même d'infantilisation doucereuse. Sa mère est soulagée.
Je leur serre la main avant de les quitter. Et c’est là qu’elle me tend une carte, les lèvres pincées. 



Son regard d’un bleu mouillé contient toute la fierté qu’une mère peut ressentir, et l’amertume qui vient avec celle qui n’est plus d’actualité. Chacune des ridules qui l’encadrent représente vaillamment un tracas et la candeur qu’il a évincée.



— Voilà. C’était là qu’il travaillait, mon fils.

On pouvait y lire : « Canadian Space Agency-Agence spatiale Canadienne, bureau de liaison NASA ». Juste en dessous se trouvait le nom de son fils ainsi que son titre et ses coordonnés.

Il y a cette mince ligne que certains traversent, malgré eux. Nul ne peut se targuer de se tenir du côté convoité, pour de bon.





dimanche 12 octobre 2014

Bouclez votre ceinture




Nous sommes appelés dans les vieux quartiers, dans un restaurant à la réputation bien établie.

« Véhicule 241-2-4-1, priorité 1, masculin 52 ans, épisode syncopal »

C’est un endroit bien peu commode pour être vagal. 

D’abord, vous en conviendrez, certains restos chics vous réservent à la fin, une facture salée en plus d’une impression de ne point s’être sustenté, et ce malgré le fait que l’on essaie de se convaincre du contraire. Alors quand votre système parasympathique vous empêche de terminer votre portion « bistro français » et qu’en plus il vous donne tout de suite après, une insoutenable envie, c’est vraiment une soirée ratée!


Il est couché entre le mur de pierres centenaires et le mobilier d’époque, flanqué de son amie de cœur et de leur couple d’amis. En un regard, je dénote dans le malaise à demi avoué, la singularité de cette soirée formelle, bien plus qu’amicale. Et le couple distant qui semble assister à la soirée par devoir mondain bien plus que par envie, n’est agité d’aucune passion. Alors que nous pouvons entendre le côlon de monsieur se retourner sur lui-même, le couple aimerait bien se trouver ailleurs, c’est évident. Le contrat prévoyait peut-être, une sortie qu'ils avaient acceptée par dépit, un repas coûteux plus que copieux et une échappée habile en début de soirée. Mais, celle-ci n’incluait guère la contiguïté et les gaz qui viennent parfois de pair. Ainsi, ils se dandinent mal à l’aise les mains jointes, près de cette connaissance issue d’une réunion d’affaires, d’une hypothétique croisière ou peut-être d’un atelier de dégustation de vin.

Le feu de foyer ainsi que le teint blafard du patient, avec les petites éructations louches qui laissent présager une nausée, me font tout de suite regretter de ne pas avoir laissé mon unique et précieux chandail de laine dans le véhicule. 


Bref, ça sent la brassée de foncé.

Avec sa barbe d’écrivain ou de professeur de chimie, mon patient a l’air d’un homme droit, pudique et cultivé, mais il pouvait tout autant faire partie d’un gang de rue. Il faut toujours se méfier de ses premières impressions. 

Visiblement, il est mal à l’aise d’être ainsi paralysé au sol et que cela nécessite les services d’urgence. Je le rassure d’un tapotage d’épaule et d’une moue empathique et rassurante qui a l’air de dire « c’est moi qui suis désolé pour vous, mon cher, ça va mal à chop». 

D’une oreille, j’entends mon partenaire, dont l’investigation sur de possibles allergies se conclut par la négative. Puis, il poursuit à voix haute, à mon attention :

—90/47, 109 BPM, respiration 18, glycémie 8.9.

—C’est la première fois que ça vous arrive monsieur ce genre de malaise.

—Maladie de Crohn.


J’opine du menton. Nous lui plaquons tout de même un masque à 100% et nous le fixons solidement à la planche.

Voilà que son amie brandit sa condition d’ex-infirmière comme l’on exhibe un badge du FBI. 



Elle nous propose son assistance, que je me réserve au besoin. Je le lui fais savoir poliment et sans équivoque. Mais, elle insiste. 

Ce n’est pas tant le fait de se rendre utile, mais beaucoup plus la nostalgie de son ancien métier et le vin rouge qui semblent la motiver. 

Je lui demande alors de nous aider à transporter notre matériel, et elle s’exécute de séant. 

C’est difficile de passer dans les passages coudés de l’ancienne demeure aux allures champêtres. Nous nous sentons lourdauds, avec la planche puis notre patient dessus, entre les clients attablés qui nous jettent des regards à la fois dédaigneux et curieux. Nos caps d’aciers martèlent le plancher creux tapissé de carpettes fleurdelisées. Nous esquissons des grimaces de circonstance au propriétaire du restaurant qui a hâte que nous nous effacions de son paysage. 


Nous savons bien que ce n’est pas personnel : c’est qu’un client qui vomit sa bisque de homard dans un restaurant chic, c’est pas vendeur.


Alors nous faisons aussi vite que nous pouvons. Si nous nous dépêchons, ce n’est pas tant pour tous ces clients attablés bien confortablement qui nous dévisagent, parce que nous avons beaucoup trop de hernies et de vertèbres soudées par l’arthrose pour ça, mais bien parce qu’il fait beaucoup trop chaud avec ce feu de foyer d’ambiance au mois d’octobre, en chandail de laine bourgogne.

Nous descendons l’escalier, qui est en fait bien plus un alcootest qu’un escalier tant elle est à pic. Nous atteignons enfin le pavé du rez-de-chaussée.

Au moment où nous l’embarquons dans l’ambulance, l’ex-infirmière se manifeste encore:

—Voulez-vous que j’embarque?

Je soupire. Cette requête est souvent source de conflits. D’abord, les parents et amis qui se sentent exclus lorsqu’on leur refuse le droit d’accompagner le patient à l’arrière parce que « l’autre ambulancier avant le leur avait permis, LUI ». Puis, les intervenants, qui s’immiscent dans les interventions et que l’on égratigne en les écartant poliment d’abord, puis plus fermement. 
Finalement, sachez que l’art d’être mobile dans un véhicule en mouvement s’acquiert, car il n’est pas inné. Toujours est-il que ma boussole à moi indique toujours le NON dans ces cas-là. C’est mon expérience passée qui m’a appris que troubles versus troubles, j’étais gagnant d’être seul derrière, quand ça se corsait.

Mais je n’ai pas le temps de répondre que mon partenaire, pour une raison obscure, lui donne l’aval. Elle s’élance donc aussitôt devant moi et prends place sur le grand banc. Je fusille mon partenaire du regard. J’entre à mon tour et demande à la dame de s’assoir sur le banc capitaine et de boucler sa ceinture. Je m’installe sur le grand banc.
Mon patient est au bout du rouleau. 


Même si j’anticipe un potentiel létal ou une instabilité insidieuse, je soupçonne que ce qui est à l’origine de sa diaphorèse et de son hypotension est en fait une formidable et fulgurante envie de chiaille.

Lorsque j’étire le bras pour prendre du matériel, l’ex-infirmière se détache pour m’assister. Je l’intime donc de demeurer attachée. D’autant plus que mon partenaire aime beaucoup les pédales : freins, accélérateurs, il les adore!

Mon patient est vraiment mal. 


C’est la seule fois où je sors la bassine pour un numéro 2. On l'a depuis retiré de nos inventaires. 


Je l’aide donc à défaire sa ceinture et il descend sa braguette. Voilà qu’on en est à descendre les pantalons quand l’ex-infirmière se détache à nouveau. Désireuse de se rendre utile elle est bien intentionnée. D'autant plus que toute cette adrénaline qui l’animait dans la salle d’urgence jadis lui revient et ça lui fait du bien, tsé. On est capable de comprendre ça.

C’est là que mon partenaire décide d’écraser le frein. L’accompagnatrice se retrouve aussitôt plaquée contre son banc. Mais comme elle est à demi levée et détachée, lorsque finalement mon partenaire en a assez et délaisse le frein au profit de l’accélérateur, elle bascule vers l’avant. 


La scène qui suivra figure parmi les plus marquantes de ma carrière. L’ex-infirmière se retrouve le visage écrasé dans le pubis de mon patient fraîchement déculotté. 


Paralysée par trois forces G, elle bat l’air de ses mains de chaque côté de la civière, incapable de prendre appui sur quoi que ce soit. 


Le pauvre bougre quant à lui, doit encore se retenir. Il souffre tant qu’il s’en fout presque que sa copine farfouille dans son entrejambe devant le parfait inconnu que je suis, dont l’uniforme ne parvient pas à atténuer la trivialité de la scène.

Au moment où l’accélération s’estompe et que nous atteignons une vitesse stable, je réussis à la tirer de là. Elle se redresse péniblement, s’assoit et boucle sa ceinture. Elle replace ses cheveux, les lissant vers l’arrière. 

Maintenant, il ne me reste plus qu’à trouver de quoi meubler la conversation.




lundi 8 septembre 2014

C'est aussi ça, mon métier





« Véhicule 241, 2-4-1, priorité 1, masculin 43 ans, douleur thoracique »

Il nous attend vaillamment debout près d’un bâtiment dans la cour extérieure.

Avec le temps, on apprend en un coup d’œil à lire dans les corps. On en vient à reconnaître les signes les plus subtils d’un déséquilibre homéostatique. C’est parfois dans leur gestuelle tremblotante, dans la façon dont ils se prostrent, dans la redondance de leur discours. À d’autres moments, c’est dans le souffle, dans le léger ictère qui colore l'œil ou dans leur teint que l’on dirait légèrement ocré. L’exprimer n’est guère éloquent. 


Cette fois-ci, je dirais simplement que ce n’est pas de cette couleur-là, un mexicain, d’habitude.

J’ai tout de suite une forme de sympathie fraternelle pour cet homme droit comme un chêne. Non pas que j’aie des origines mexicaines. Mais j’aime tous ceux qui sont venus d’ailleurs. J’ai un parti-pris pour les exilés. Ils deviennent mes invités. J’en fais une affaire personnelle, au risque de les fatiguer par mon empressement qu’on peine à imaginer naturel et bien senti, et pourtant… Ils m’intéressent tous autant qu’ils sont et j’aime en apprendre sur eux. Je sais déjà que ce travailleur a eu le courage de quitter sa famille, toute une saison, peut-être plus, probablement afin d’assurer la scolarisation de ses enfants, les soins de santé d’un aïeul ou pour une quelconque nécessité pécuniaire.

Il se tient les côtes, c’est pourquoi j’ai une pensée pour mon matelas immobilisateur, bien replié sur lui-même dans son compartiment. Situation traumatique?

— Qu’est-ce qui passe mon cher? dis-je promptement.

— No hablo frances

— Tiene dolor al pecho? lui demandé-je tout fier de sortir mon espagnol.

Il est surpris que je l’aborde dans sa langue maternelle. Un peu trop confiant en mes moyens, il me souffle d’un trait une suite, qui reste malheureusement totalement incompréhensible pour moi. Coincé, je ne me rappelle plus comment dire « plus lentement ».

Après moult balbutiements et mimiques, je finis par saisir qu’il a une douleur au thorax près de l’aisselle avec irradiation au bras gauche.

—Êtes-vous tombé? J’imite quelqu’un qui tombe et qui se heurte les côtes.

— Nooo, fait-il.

Nous l’installons sur la civière pour entrer à l’intérieur de l’ambulance.

Une fois à l’intérieur, nous procédons à son évaluation : prises de signes vitaux, glycémie, ECG. Rien de précis ne nous apparaît. Nous nous mettons donc en route vers l’hôpital.

À plusieurs reprises, j’essaie de parfaire mon questionnaire, mais à la manière dont mon patient me regarde d'un air hagard, je doute qu’il ne saisisse un seul de mes propos. Je cesse donc d’amuser mon partenaire qui se conforte au volant et dont j’entrevois les yeux rieurs dans le rétroviseur, puis me résigne.


C’est à ce moment, comme on le dit dans le métier, qu’il code. 


C’est un peu comme si on l’avait mis hors tension tel un interrupteur, sèchement, proprement. 


C’est la façon dont chacune de ses cellules s’oppose à ce qui se passe chez lui, communiant en un spasme tonique, qui me permet de distinguer l’arrêt cardiorespiratoire de la perte de conscience vasovagale.

— COLLE-TOI!

Mon partenaire profite d’une courbe rurale appropriée à son immobilisation tandis que je déballe les électrodes de défibrillation comme un enragé. Nous nous entendons pour le dire, je n’ai pas la même désinvolture à décoller le mince film autocollant sur cette électrode que je ne l’aurais en le retirant d’un roulé aux fruits.

J’ai le temps de lancer l’analyse quand mon partenaire émerge dans l’habitacle. La sonorité de son rythme cardiaque nous fait entendre qu’un chaos s’est installé et ne demande qu’à être brisé pour que l’ordre revienne, garant de la vie.

— On touche pas au patient! Je choque!

Ses mains se rétractent violemment. Puis, il ouvre les yeux, blafard.

Voyez-vous, le corps, lorsqu’il est dans une telle précarité, offre une pause à son système digestif, celui-ci étant le moindre de ses soucis et les besognes qui l’accablaient ne l’intéressant guère plus.

C’est alors qu’il se redresse, tentant de réprimer un mouvement réflexe des plus violents indiquant que des vomissements sont imminents. Mon partenaire m’abandonne avec raison pour reprendre le volant. J’attrape le vomit bag avec toute la rapidité que la nature a doté l’être humain. 


Mais, cette manœuvre qu’est le dépliage du « rebord-de-carton-maudit-sois-tu » est toujours ridiculement trop lente. 


Tandis que je me bats avec l’ouverture de mon sac, le voilà qu’il rejette son dîner à moitié digéré entre ses cuisses fléchies toujours immobilisées par une ceinture de sécurité, puis dans ses mains avec lesquelles il tente vainement de former un bol et enfin dans le sac prévu à cet effet que je lui tends en sueur. Parce que personne n'aime se faire dévisager lorsqu'il dégobille, je jette un regard pudique au contenu afin de déceler la moindre coloration suspecte (oui, certaines le sont plus que d'autres). C'est là que j’aperçois le dentier de monsieur tomber lourdement dans le vomit bag maintenant rempli à ras-bord. Parce que je suis bien piètre déballeur, j’avais prévu le coup et lui tends le second auquel je m’étais affairé sans relâche, reprenant le premier qui n’en pouvait plus.
Mais voilà que tout en continuant à s’étrangler par les réflexes de gag qui l’assaillent, il me crie « Mi dentadura! Mi dentadura! » ou quelque chose du genre. De longues minutes s’écoulent avant que je ne finisse par comprendre que cela veut probablement dire «dentier». Je suis désolé de ne pas avoir saisi plus tôt et ainsi de n’avoir pu empêcher que son affolement n’atteigne des sommets.

Le pauvre n’a aucune idée qu’il vient de passer de vie à trépas… à vie. 


Et je crois que ce qui prime dans l’instant est de retrouver ses dents. C’est qu’il les a probablement payées rubis sur l’ongle et devrait s’en passer faute de ne pouvoir s’en offrir d’autres. Je voudrais lui dire qu’on verra à cela plus tard, que ce n’est pas important, que je lui promets de lui garder ses dents bien à l’abri dans son vomi, que pour l’instant j’ai plus important à faire. Je ne fais que lever une main, une main qui se veut apaisante et je tripatouille l’idée que j’ai dans le cerveau, ne sachant pas trop de quel bord la prendre pour en faire une phrase. Mais voyant son effarement et la grande agitation qu’elle suscite, j’ai la crainte que cela exacerbe son malaise cardiaque. Je la vois presque, sa machine cardiaque oxydée et encrassée, qui peine à reprendre le dessus aux prises avec une angoisse plus grande que nature qui en fera presque lâcher la plomberie. Alors, je démissionne. Résigné, c’est la mine déconfite, que je me résous à plonger ma main gantée jusqu’au poignet dans le sac plein de vomi. N’ayant pas pris le temps de réfléchir, c’est beaucoup plus l’envie impérieuse de le calmer qui guide ma main.

Mais ce qui suit est troublant. Il l’arrache de ma main dégoulinante pour se les enfoncer dans la bouche. C’en est trop. L’odeur du spaghetti sauce bolognaise ou du quelconque repas qui n’aurait jamais dû être vomi me monte au nez. C’est à mon tour d’en avoir le cœur qui se soulève à un point tel que je me demande s’il ne va pas sortir et prendre la place du dentier. Agrippant toujours le vomit bag plein, j’hésite. Non pas que ce ne soit pas professionnel de vomir sa vie devant un patient que l’on vient de réanimer, car il est ici question de condition strictement humaine et des limites qui l'assujettissent. Non pas que ce ne soit pas éthique d’ajouter un peu de son vomi à celui de son patient… C’est que l’espace est pris! C’en est douloureux, mais je réussis à déposer le sac plein en prenant soin de le couder afin que son contenu ne se répande pas partout.

C’est alors qu’étalant tout ce qui fait de moi un mammifère ni plus ni moins, je lutte afin de retenir mon café et mon muffin aux carottes qui montent le long de mon œsophage (eh oui avant de le rejeter j’ai toujours une dernière pensée pour mon déjeuner, pas vous?) tandis que de mon autre main j’essaie de déplier un nouveau vomit bag. 
Ma volonté est telle, catalysée par l’orgueil, que j’atteins ma cible de justesse. 


Je pourrais me vanter d’être un des rares types de l’histoire à s’être dépêché à vomir.

C’est que j’ai tant à faire pendant les derniers miles à parcourir. Mon patient reconnaissant se laisse couvrir de mes bons soins. Contre toute attente, c’est maintenant lui qui est sympathique à ma cause. Après tout, nous aurions bien pu être frères de sac.



















vendredi 6 juin 2014

Les dents



«Véhicule 241-2-4-1, priorité 3, féminin, 86 ans, détérioration de l’état général ».

Lorsque nous arrivons à la résidence de personnes âgées, le cœur n’y est pas. La plupart de ses chambres sans fenêtre se trouvent dans un sous-sol sombre et humide. Nous traînons notre civière jusqu’à la porte de la chambre.

Parmi ces résidences, il y a des adresses qui sont plutôt bien, et l'on pourrait même, avec beaucoup d’imagination, s’y voir dans une autre vie. Mais d’autres sont de véritables mouroirs où la dignité et le confort n’ont plus leur place. Les sarcasmes ne parviennent pas à distraire du malaise lancinant qui nous assaille lorsque nous y mettons le pied.

Notre patiente est assise au fauteuil, ses cheveux forment derrière sa tête, une huppe diaphane. Sa robe de chambre d’une autre époque laisse paraître des jambes œdématiées et rougies qui se desquament. Ses mouvements, même avec si peu d'amplitude, suffisent à apporter par le biais d'effluves à la fois forts et succincts, l'odeur caractéristique d'une vieillesse ingrate. Nous pourrions presque affirmer que chez certains sujets, le processus de putréfaction débute alors qu'ils sont toujours vivants. 



C'est comme si le corps avait déclaré forfait par manque de soins. Et que sa totale absence de vocation l'avait rendu obsolète.


Nous faisons mine de s’y habituer à les voir ainsi, pleins d’affections cutanées fongiques, leur mince chevelure remplie de nœuds, mais la plupart du temps, nous avons l’empathie qui s’emballe. Et derrière nos gueules peinardes de travailleurs de la santé endurcis, nous sommes plutôt tristes, parfois remués, mais rarement indifférents. Il est difficile de s’en dissocier complètement, puisqu’un jour nous vieillirons comme eux dans un avilissement qui nous est inconnu. Ça nous soulage de savoir que ce n’est pas pour tout de suite, mais la menace plane tout de même, bien réelle. Reste qu’à chaque fois, nous nous prenons une gifle retentissante.

Ceux qui croient au mensonge éhonté fraient avec cette misère depuis trop longtemps. Ils en sont venus à croire que celle-ci était un passage obligé dont la souffrance est engourdie par un quotidien devenu familier et un système nerveux aux mécanorécepteurs désuets. Et leurs blagues truculentes, qu’ils étirent comme de vieilles gaines ne parviennent pas à changer le drame humain en une suite des choses logique et naturelle.

Qu’ils soient autonomes ou en perte d’autonomie, il a probablement fallu plusieurs mois à ces patients pour s’adapter même si la plupart se contentaient déjà de peu dans leur vie d’avant. Mais, ils sont nombreux à ne s’y être jamais fait, clamant à qui veut bien l’entendre qu’ils espèrent être le prochain à quitter ce bas monde afin de fuir par tous les moyens ces lieux sordides. Vulnérables, ils ont depuis longtemps renoncé a de la nourriture de qualité ainsi qu’à une hygiène respectable.

En ce qui nous concerne, un quart de jour dans un secteur où les appels gériatriques abondent favorise une immersion permettant de si pénibles constats.

— Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous aujourd’hui ma chère? dis-je, posant un genou au sol afin de m’appuyer sur ma cuisse fléchie. Nos regards se trouvent ainsi forcés de se croiser, dans la position empathique du parfait paramédic.

Je lui tapote gentiment la main. Ma patiente ne me répond pas. Son regard vide, dénué de tout entendement, oscille entre mon partenaire et moi, un peu comme le serait celui du bétail nerveux.

Je tente une deuxième fois d’établir un contact :

—Qu’est-ce qui vous dérange aujourd’hui?

Toujours le même regard, cette fois suivi d’un large sourire, sans la moindre dent. C'est inutile de la presser de questions. J’en conviens que la tentative de dialogue est vaine. Je lui enserre sa petite main pour la rassurer, avant de me tourner vers la préposée qui me révèle la raison de notre présence:

—Elle a les jambes très enflées. Depuis deux jours, elle est plus confuse que d’habitude et elle refuse de s’alimenter.

Je presse mon pouce en haut de sa cheville, ce qui laisse une trace dans les tissus gorgés de liquide interstitiel. Sa peau est chaude. Nous prenons ses signes vitaux : pression, taux d’oxygène, glycémie. Nous mettons en place un monitorage cardiaque de surveillance. Tout est dans les normes.
Il est parfois surprenant de constater à quel point ils sont résistants, malgré tout. Un peu comme ses vieux modèles de véhicules japonais, ce sera souvent la carcasse, consumée par l’oxydation, qui cédera avant le moteur.


Lorsqu’un jour, le moteur finit par lâcher, on ne peut qu’être admiratif devant l’accomplissement servile. 


Il y a pour moi ces petits gestes auxquels j'accorde beaucoup d'importance. Ils sont en fait garants d’un minimum de dignité humaine, les considérant comme la limite inférieure de la qualité du service à atteindre. Ceux-ci consistent entre autres à m'assurer que mes patients aient de quoi se mettre les pieds au chaud, ainsi que leur lunette et leurs dents. Il résulte parfois de ses éléments de base l'essentiel de la mésaventure, qui suffisent à constituer le corps du récit : « j’ai assez eu frrrette au pied ». Ainsi, il me semble qu'il y ait espoir que des pantoufles, des lunettes et un dentier puissent à eux seuls changer la donne, transformant ainsi une aventure cauchemardesque en une péripétie hors de l’ordinaire.

J’enfonce les pantoufles aux semelles antidérapantes dans ses pieds et demande des bas supplémentaires. Elle regarde évasivement chacun de mes gestes, le petit bec entrouvert, haletant bruyamment, comme le ferait un petit merle frêle et anxieux.

—Portez-vous des lunettes vous?

La préposée me les tend afin que je les lui dépose sur le bout de son nez, positionnant les branches sur ses oreilles du mieux que je peux.

Je constate avec surprise que deux boîtiers de dentier se trouvent sur la table de chevet.

—Lesquelles sont à madame? demandé-je en pointant les boîtiers.

Tout s’enchaîne ensuite très vite. La préposée hausse les épaules. Elle empoigne l’un des boîtiers et l’ouvre. Elle a visiblement l’intention de lui essayer, afin de voir s’il lui va.

Les questions se bousculent : (1)la dame réagira-t-elle? (2)sera-t-il son dentier à elle? (3) Va-t-elle vraiment lui enfoncer les dents de quelqu’un d’autre dans la bouche? Nous sommes affolés, mais pourtant nous restons cloués sur place, abasourdis.

Le dentier est déjà dans les mains de la préposée. Nous tentons de trouver la réplique, courte et efficace, pouvant détourner la préposée de son sombre dessein. Mais quelques secondes ne suffisent pas à désamorcer cette incrédulité plus grande que nature qui nous empêche de remuer. Seuls nos yeux s’agrandissent.

La petite dame, qui n’avait pas dit un seul mot jusqu’alors, s’exclame:

—C’est pas mes dents ça!

Mon partenaire et moi nous fixons les yeux écarquillés. Tiraillés entre l’effarement et le rire, nous n’en pouvons plus.


La petite dame s’empresse d’attraper l’autre boîtier et gobe goulûment l’autre dentier, complétant son ajustement d’un claquement de langue machinale. 


Personne ne peut voir que c’est une de ses rigolades grasses et déjantées, puisqu’elle a lieu au plus profond de nos êtres, seul nos regards braqués l’un dans l’autre le laissant présager. Et il faut le dire, nous sommes soulagés.

Puis, elle se cambre et se lève. Volontaire, elle me tend le bras afin que je lui offre de l’appui. Elle bat l’air jusqu’à ce qu’elle puisse attraper mon coude qu’elle tâtonne avant d’agripper fortement. Elle s’affaisse sèchement sur notre civière. Je l’emmitoufle dans la couverture. Elle attend patiemment le début de son exil, renfrognée.

À chaque fois, nous ne savons pas trop si c’est une bonne chose de les sortir de là, l’hôpital n’étant guère un milieu plus approprié pour eux, ceux-ci quittant notre civière et notre attention exclusive pour se retrouver seuls dans un corridor froid et sonore où ils pourraient mourir dans la discrétion la plus totale. Puis, même quand leur raison a des ratés, celle-ci réagit tout de même aux changements, aussi minimes puissent-ils être. Alors un séjour dans un centre de soins est parfois suffisant pour sectionner le mince fil qui les rattachait encore à la réalité.

Une fois installée dans une allée de l’urgence, lorsqu’elle me demande quand je reviendrai la voir, j’acquiesce.

—J’essaierai de venir vous voir si je reviens avec un autre patient. Puis, je lui souris pour amoindrir l’incertitude dans ma voix.

J’en ai quitté des centaines, passant de l’autre côté des rideaux qui ombragent leur lit d’hôpital, les lèvres pincées. 

Pour une raison qui m’échappe, certains sont plus difficiles à quitter. Une fois loin de leur regard, le cœur plein à rebord, je retourne à mon travail pour essayer de faire baisser tout ça. 

lundi 7 avril 2014

L'impact




Tel un ballet gracile et audacieux, les véhicules s’exécutent, s’entremêlant sur la voie rapide des autoroutes, la plupart du temps sans le moindre accroc. Mais cette représentation sans faille, dont la vélocité est en réalité insensée, a parfois des ratés funestes. S’ensuit alors l’impact. Incommensurable. Fatal.

«Véhicule 241,2-4-1, priorité 1, accident de la route, blessés multiples »

Ce qu’il y a avec le printemps, c’est que parfois il apporte avec la frénésie qui lui est propre, son lot de drames fortuits.

Il est très ardu de se faufiler entre les automobiles, paralysées sur le pont de l’autoroute. Je décide donc de sortir pour indiquer aux automobilistes de se ranger. Je cogne aux portières, frappe les capots, dirige les véhicules, les faisant avancer, tourner, reculer, s’imbriquer les uns à côté des autres. Battant l’air des bras, j’indique à mon partenaire si le véhicule passe dans l’entonnoir restreint que je lui crée sur mesure. « C'est comme jouer à Tetris ». Mon partenaire hoche la tête.

Il nous faut douze minutes pour parcourir deux kilomètres d’autoroute. Puis, j’aperçois, entre les camions immobiles, une roue de fourgonnette dans les airs. Je me rassois lourdement dans le véhicule afin que l’on parcoure en silence les derniers mètres qui nous séparent de l’accident. 

C’est un carambolage. Sur un pont


J’ouvre la portière. La cacophonie envahit une seconde fois mes oreilles. Cette fois, le ronronnement des moteurs diesel se mêle aux klaxons et aux cris des pompiers qui s’agitent déjà sur la scène, semblables à ceux des joueurs acharnés d’une équipe sportive. Un véritable champ de bataille. Je pose le pied sur la chaussée. Nous nous dirigeons vers l’habitacle arrière, pour enfiler nos bunkers suits, laissant les portes arrière grandes ouvertes. 

Je m’efforce de glisser mes bottes dans mon pantalon à bretelles, qui résiste à tous mes efforts. Comme de me retrouver en bas de laine sur une scène d’envergure m’horripile, je me refuse à retirer mes bottes et préfère me battre bec et ongles. Je n'ai pas encore débuté mon intervention que mon front perle déjà de sueur. Il faut vraiment que je perde du poids.

Un policier fonce vers moi et me défile un tas d’informations. Il m’indique qu’il y a un véhicule lourd impliqué, avec à son bord un conducteur indemne, souffrant d’un violent choc nerveux. Il aurait embouti plusieurs véhicules. Au moins trois autres véhicules sont impliqués avec à leur bord cinq blessés.

Je constate qu’une petite voiture rouge est complètement éventrée. 


Une couverture jaune habille le capot: la dépouille d’un malheureux?

—Mort? Je pointe la petite voiture rouge décharnée.

Le policier secoue la tête, lui-même étonné:

—Il est blessé, mais il respire et il est conscient.

Je hausse les sourcils. Quelle chance il a celui-là! Je donne un bilan provisoire de cinq blessés à la répartitrice médicale d’urgence qui affecte les effectifs supplémentaires.

Mon partenaire est prêt. Maintenant revêtu de son bunker suit, la visière de son casque relevé :

—Je vais voir, va sur ton bord et je viens te rejoindre, me lance-t-il, volontaire.

J’acquiesce en enfilant ma veste de chef-trieur. Puis, je prends un instant, planté sur l’asphalte, pour avoir une vue d’ensemble avant de me lancer dans le chaos. Ce moment de recueillement est pour moi l’occasion de mesurer l’ampleur de la tâche, mais aussi le rare privilège de pouvoir faire la différence.

Je me poste près du petit véhicule rouge. Je dépose une bouteille d’oxygène au sol et passe la tête à l’intérieur. Le jeune homme est combatif. 


Du sang ruisselle d’une vilaine lacération frontale et coule lentement le long de son arête nasale. 


Son banc s’étant complètement penché vers l’arrière avec la force de l’impact, il est couché dans son véhicule, le regard absent. Un pompier essaie de le raisonner en vain, malgré tous ces bons arguments, il n’y parvient pas. Le discours redondant du jeune patient, contraire à la moindre logique et répété avec ardeur d’une voix qui déraille semble indiquer un traumatisme crânien ou une hypoxie.

Je découvre avec stupeur que la fourgonnette aperçue plus tôt est dans une fâcheuse position. Elle est suspendue au-dessus de la rivière, seul un effet de poids l’empêche de basculer dans le vide. Un homme s’apprête à ouvrir la portière, le soleil m’oblige à plisser les yeux pour y voir quelque chose: il veut y monter.

—Hé!!Vous!

L’homme ne m’entend pas et s’engouffre jusqu’aux hanches dans son véhicule. Il sursaute lorsque je l’attrape par la ceinture.

—Qu’est-ce que vous faites?

—Je cherche mon cellulaire.

—Laissez-faire votre cellulaire, votre camionnette est suspendue dans le vide.

—Je voulais appeler ma fille.

—Vous en emprunterez un plus tard…êtes-vous blessé?

—Non je n’ai rien, fait-il boudeur. Il cesse de se rebiffer puis s’éloigne.


L’homme au volant du véhicule lourd est effectivement en état de choc, mais ses signes vitaux sont stables. Je le laisse donc en compagnie d’un bon samaritain qui veille déjà sur lui, tenant sa tête bien droite pour prévenir l’aggravation d’hypothétiques blessures à la colonne vertébrale. Il lui fait tenir ses mains jointes pour limiter ses tremblements incontrôlables. Ceux-ci sont si puissants qu’ils le font sautiller de haut en bas sur le siège à amortisseurs de son poids lourd. C’en est trop pour le pauvre bougre : son corps a choisi de se détacher de sa raison, afin de pouvoir continuer de vaquer à ses fonctions vitales.

Les carcasses des véhicules se chevauchent. Dans le deuxième véhicule, une jeune fille halète, blême. Elle ne répond à aucun stimulus. Une infirmière qui se rendait au travail est à ses côtés. Elle me salue gravement lorsque je m’immisce dans le véhicule. 

Je prends le pouls de la jeune conductrice, pressant mes doigts sur son poignet glacé : « rien ». J’essaie le bras indemne : « un pouls, rapide et filant ». Sa faible amplitude respiratoire indique qu’elle ne pourra continuer longtemps à compenser le manque criant d’oxygène. Elle n’y parvient déjà plus. Sa volonté l’ayant quitté pour faire place à son système nerveux sympathique, qui ne suffit plus à la tâche. Elle ne peut trahir sa détresse d’aucune façon et l’étale simplement devant nous, comme un ultime appel au miracle. Son épaule et son bras déformés ne sont que la pointe de l’iceberg démontrant la force de l’impact latéral et le potentiel létal d’un possible traumatisme thoracique.

Je me dirige vers le véhicule utilitaire sport. Un homme y est conducteur, accompagné de sa femme. Celle-ci ne va pas bien du tout. Comme un poisson hors de l'eau, sa respiration, vaine, n’apporte plus vraiment de vitalité à son œil éteint. Ses jambes broyées, qui la font souffrir, semblent la dernière chose qui la maintient dans un certain état d’éveil. Ainsi, elle se tortille faiblement au gré des élancements qui la tenaillent. 

Le mari s’inquiète pour sa femme, mais le pompier en maintenant sa colonne dans un axe neutre, l’empêche de la voir. Ainsi, il l’interpelle aux deux minutes à travers le masque d’oxygène qu’on lui a plaqué sur le visage, sans jamais avoir de réponse. Sa voix est si chargée d’angoisse que le ton ne change plus, maximal et viscéral : «Bébé? Réponds-moi! Ben voyons! Mais qu’est-ce qu’elle a?». Pour l’instant, impossible de savoir s’il est fou d’inquiétude ou confus. Ses yeux écarquillés vrillent de gauche à droite au-dessus du masque qui s’embue, le cou bien droit dans le collet cervical.

De toute cette scène qui me prend tout entier, ce sont les cris qui resteront. 


C’en est toujours ainsi avec les drames. Tout le reste finit par s’estomper grâce aux limites parfois salutaires de ma mémoire, pour ne laisser que des bribes d’images, pâles résidus d’une réalité qui n’est plus. Mais les sons, inaltérables, en particulier ceux qui viennent des tripes, semblent sourdre d’un hier, même après des années.

Tous s’agitent bêtement, prisonniers de la ferraille qu’ils croyaient domestiquée, face à laquelle le tégument n’a aucune chance. Ces pauvres gens sont des humains, dans leur forme la plus humble : de la chair vibrante et pulsatile qui veut subsister. On ne peut que constater cette vulnérabilité.

Mon partenaire revient d’un pas vigoureux.

—Je suis allé voir en avant. Des blessés légers, mobiles. Deux d’entre eux ont des douleurs cervicales, trois autres refuseront probablement le transport.

Je lui demande d’aller s’occuper de la jeune femme à bord de la voiture sport en lui tendant une bonbonne d’oxygène.

—Elle ne pourra pas compenser longtemps.

Il hoche la tête et part.

Via les ondes radio, je donne un compte rendu de l’état des cinq blessés à la répartitrice médicale d’urgence, avant de retourner voir mon partenaire. 

La jeune patiente haletante devrait être délogée de la carcasse de son véhicule d’ici peu, les pompiers s’affairant à sa désincarcération.

Je donne un compte rendu final du nombre de blessés à la répartition, portatif à la main, lorsqu’une première équipe de paramédics arrivent, ayant finalement vaincu le trafic.


J’empoigne l’épaule de mon collègue, heureux d’obtenir enfin un renfort.

—Ok, toi tu pars avec la patiente dans le véhicule utilitaire.

—Parfait, dit-il. Il s’élance aussitôt.


Je porte assistance à la première équipe, qui extirpe la femme du véhicule utilitaire sport. Elle gémit lorsqu’ils la sortent de la voiture. Mon collègue, surpris par le manque de tonus des jambes de la patiente, peine à les supporter jusqu’à ce que nous la glissions sur le matelas immobilisateur. Celles-ci ne forment plus qu’une masse ronde et œdématiée au niveau des cuisses. Je les prends au vol, à bras le corps, également étonné par le poids qu’ont des jambes lorsque plus aucune fibre musculaire ne peut se tendre. Un saignement interne important est possible, l’artère fémorale s'y situant. J’ai le temps de partager cette inquiétude avec mon collègue, qui me retourne une moue qui n'augure rien de bon.

La deuxième équipe arrive aussitôt. Je leur indique qu’ils doivent prendre en charge la jeune patiente en détresse respiratoire, bientôt libérée de la ferraille. Mon partenaire prête ses bras à l’effort, tâchant vainement de maintenir le bras de la patiente dans un axe plus ou moins droit. Mais celui-ci n’est plus qu’un tas d’os broyés.


Les équipes arrivent, une à une. J’observe mes collègues, s’étirer hors du véhicule, agripper leur civière, pour se diriger vers moi d’un pas cadencé, droits et calmes. 


Ils s’exécutent, faisant ce qu’ils savent le mieux faire. L’intervention se déroule à merveille. 

Les patients sont conduits au centre hospitalier un à un.

Comme nous sommes les premiers arrivés sur les lieux et du même fait désignés pour le triage des blessés, nous serons les dernier à partir. 

Appuyé sur mon genou fléchi près de la dernière patiente à être transportée. 

Tous ceux qui veulent passer sur ce pont sont derrière moi, au volant de leur voiture. Ils se suivent, dociles, tel un cheptel humain, répétant l’exercice matin et soir. Impatients, ils veulent se rendre au boulot au plus vite, pour en finir avec cette journée. Une autre journée, qui passe, bien qu’elle pourrait être leur dernière. Il y en aura bien une autre qui suivra. Non?




lundi 24 février 2014

Le poêle





«Véhicule 241-2-4-1, priorité 3, féminin 61 ans, problème de comportement, agressive, non suicidaire »

Nos corps chauds et alanguis n’ont pas envie de sortir, mais la radio indifférente nous appelle tout de même, insensible à notre carence de sommeil. Dimanche de février. Le froid nous mord les joues. Et puis la grêle nous pince parfois jusque dans les yeux, que nous laissons ouverts, histoire de mettre un pied devant l’autre.

—Qu’est-ce qu’on a? me demande mon partenaire. Le sommeil n’a pas encore libéré ses paupières alors il les garde closes.

—Problème de comportement…que je lui réponds sans la moindre émotion.

Je regarde l'heure : 02h10 a.m.

—Ça ne lui tentait pas de dormir? dit-il en s’étirant.

Nous arrivons face à un triplex. Deux auto-patrouilles sont sur les lieux. Personne ne vient à notre rencontre. Cela pourrait indiquer qu’ils en ont plein les bras. Mais avec ce temps de chien ça ne veut rien dire du tout.


Nous nous décidons à affronter le vent hivernal, voûtés, la haine estampillée dans le visage.


La haine de l’hiver, de la nuit, du vent, de cette neige alourdie par le grésil que je devrai pelleter, indépendamment de toute celle qui m’attend à la maison. Celle que j’ai poussée pour aller au boulot et que je retrouverai encore, à mon retour, comme une marée blanche incessante et infernale.

L’appartement est au rez-de-chaussée. Nous entrons, avec notre trousse ainsi que notre moniteur-défibrillateur. Un policier nous accueille à la porte, avec son sourire du dimanche soir. Nous le suivons en silence jusqu’à la table de la cuisine recouverte d’une nappe de dentelle jaunie par la nicotine. Il y trône un cendrier de verre à deux étages qui avait peut-être, jadis, la vocation de présentoir à gâteaux. Des mégots aux filtres tâchés de rouge à lèvres y gisent par dizaines. L’allumeur pour barbecue se tient prêt, juste à côté. Le paquet de cigarettes est recouvert d’un fourreau artisanal en phentex pour le maintenir bien au chaud. Assise à la table, une femme menue fume joyeusement.

Il est évident qu’ici, fumer n’est pas qu’un passe-temps, mais une passion.


Même si nous les dévisageons, les policiers ne disent rien. Ils sont interdits, mais tout de même souriants. Face à l’absence d’un rapport verbal, nous n’avons d’autre choix que d’entreprendre la tâche ingrate qui semble nous être refilée. Ainsi, pour leur plus grand plaisir, nous brisons la glace. Cette besogne délicate est pour certains patients aux problèmes de comportement, une occasion de nous fustiger, peu importe comment l’on s’y prend. Je me doute que si les policiers nous donnent en pâture, c’est qu’ils ont probablement une bonne raison, et que leurs sourires niais en dépendent très certainement. 

Sans plus attendre, nous nous adressons directement à la dame, empêchant ainsi qu’un malaise s’installe.


Dans les cas de violence, la plupart du temps, il ne faut pas plus qu’un silence un tantinet collant, du genre de ceux qui manquent d’un grain de naturel pour allumer une mèche.



—Bonjour madame, que se passe-t-il cette nuit? 


—J’ai poussé mon poêle dehors.


Elle balance sa brève histoire, sèchement, visiblement exaspérée, comme si c’était un fait anodin qui ne méritait guère qu’elle gaspille une goutte de salive.

—Pardon?

Les trois policiers, un colosse et deux autres plutôt basanés, attendent les bras croisés, empreints d’une bonne humeur contagieuse. Ils ont le cœur si léger qu’ils ne s’aperçoivent pas que leurs biceps épais sous lesquels ils ont glissé leurs mains gantées pourraient amener à confondre leur bonhommie avec une fermeture. Je sais que leur amusement teinté d'incrédulité est sincère. Malheureusement il est parfois facile pour quelqu’un qui n’a reçu dans la majeure partie de sa vie que du mépris d’en reconnaître là où n’y en a pas.

—T’es sourd ou quoi? Mon poêle m’a fait chier, je l’ai lancé dehors.

Je remarque avec stupéfaction le trou crasseux qu’a laissé le poêle en son absence. Et les policiers acquiescent, hochant la tête du même enthousiasme qui les anime depuis le début. Je remarque que la porte arrière n’est pas complètement fermée, car un filet d’air frais agite les stores verticaux dont la couleur d’origine est indiscernable depuis de nombreuses années déjà. Je décide d’y jeter un coup d’œil.

— Tu peux aller voir ça me dérange pas, qu’elle me lance, pointant la porte une cigarette entre ses doigts, la portant bien haut dans les airs, comme si elle faisait partie d’une lointaine monarchie anglaise.

Elle tire ensuite une très longue bouffée de cigarette, qu’elle souffle en trois petits coups. Je détourne la tête, me dirigeant vers la porte arrière. Je l’ouvre et sors, suivi de mon partenaire qui veut voir lui aussi. Le poêle est juché dans le banc de neige, de l’autre côté du balcon. Il gît, délaissé, victime innocente. Contrairement à un ordinateur méchant et vicieux qui supprimera volontairement un précieux document uniquement pour le plaisir de vous entendre pousser un cri de rage, un poêle est un appareil électroménager pacifique, tout comme un réfrigérateur d’ailleurs. Il ne vous veut en général aucun mal puisqu’il ne veut que vous servir du mieux qu’il peut et le plus longtemps possible. D’ailleurs, c’est généralement bien malgré lui qu’il rend l’âme après de loyaux et généreux services.

—Heu….? bredouillé-je

Comment avait-elle pu s'y prendre? Je me retourne aussitôt vers les trois policiers badins. L'un d'eux hausse les épaules.

— Madame, qui a lancé votre poêle dans le banc de neige? poursuit-il en se retournant vers la toute petite dame.

—Aye le clown ça fait trois fois que je te le dis, c’est moi qui l’ai lancé, veux-tu que je te lance avec?

Elle lui jette un de ses regards menaçants afin qu’il saisisse bien de quoi elle est capable. Il y a de ces cas où on sent que rien ne pourra empêcher le conflit d’éclater. Celui-ci, imparable, est prémédité, et tout le reste menant à son implosion n’est qu’accessoire.


Ma patiente s’est mise en scène dans un de ces livres 
dont vous êtes le héros.


Elle détient non seulement l’intrigue, mais le dénouement et elle en sera l’instigatrice solitaire, ne nous en révélant rien jusqu’à la toute fin. Rien de ce que nous pourrons faire ne désamorcera le conflit : pourtant nous avons tout d’un frigo bienveillant et bonasse, toujours prêt à ouvrir la porte, haussant nos épaules charnues, ne comprenant pas d’où provient la menace perçue.


Le colosse l’apaise aussitôt.

— Mais non madame, calmez-vous là, on veut juste comprendre ce qui s’est passé.

— Ce qui s’est passé…ce qui s’est passé, crissss.

Encore cette fumée qu’elle pousse en trois traits, cette fois par le nez, tel un dragon courroucé.

Puis l’un des deux basanés demande prudemment :

— Puis-je vous demander madame ce que votre poêle a donc fait pour vous mettre dans cet état?

— Y voulait pas cuire tabarnak. C’est simple!

Et c’est là qu’elle éclate dans une colère immense. Cette colère plus grande que nature contient toutes celles qu’on lui a infligées depuis l’enfance, tel un legs. Elle se lève, nous arrivant à peu près au torse. Nous crache de sortir de chez-elle. Le policier se prend des postillons sur la veste par balle et des petites bulles de salive mousseuses se déposent gentiment sur l’étiquette où est inscrit son nom. Il l’invite à se calmer d’une main raide, mais rien n’y fait.

Elle s’élance sur le policier celui-ci la retourne pour lui prendre les poignets. Ici, le talon d’Achille du policier sera la crainte de la blesser. Il desserre aussitôt l’étreinte de peur de la briser en deux, tant elle semble avoir une peau et une ossature friable. Celle-ci se défait de l’emprise, s’enroule à une des cuisses du policier et glisse le long de celle-ci jusqu’à la botte. Elle s’agrippe à la cuisse comme à un tronc d’arbre, comme le feraient ces petits rongeurs aux yeux globuleux et à l’air malin. Il ne suffit que d’un bref instant pour que tous, nous nous agitons, ahuris. Le policier hurle maintenant à la dame de lâcher sa prise craignant que celle-ci, tentée par une pointe de surlonge bien saignante, ne lui mordre cette partie très tendre qu’est l’intérieur de la cuisse.

Puis, voilà le moment fort qui tangue entre le drame et la comédie où cinq gaillards s’ébattent sur le linoléum bigarré comme des lutteurs gréco-romains. Un qui tente comme il peut, d’écarter les doigts osseux de la dame sans les briser, un autre qui tire sur le menton vers l’arrière pour éviter qu’elle ne prenne une bonne bouchée de quadriceps, un autre qui tire à la taille et puis un qui étire les petites jambes qui ruent. Le policier à la jambe prisonnière tente de rester debout, vacillant sous le poids de cet amas de muscles qui le presse puis le tire.


Le temps ne passe pas bien vite, 
lorsque l’entrain n’y est pas.



Lorsque nous arrivons enfin à dégager la bestiole furieuse, les policiers la menottent les bras derrière. Il importe maintenant que notre patiente soit contentionnée de manière sécuritaire. Sur son plancher de cuisine, cette dernière pourrait se fracasser elle-même le crâne, se démettre une épaule ou accomplir tout autre dessein secret qui lui passerait par la tête, aussi fou qu'il puisse être. 


Nous nous toisons du regard, tous autant que nous sommes, essoufflés, débraillés, ajustant ceintures et chemises.

Je jette un coup d’œil à l’extérieur, la neige a déjà recouvert nos pas. Notre civière nous attend sagement, dans le véhicule, entre les immenses dunes blanches. Nous nous contemplons, mon partenaire et moi, désespérés. Moi, secouant gravement la tête. Lui, reprenant son souffle.

Nous jetons un dernier regard aux agents qui maintiennent la dame au sol. Ils continuent à lui parler doucement, à l’enjoindre de se calmer. Ils aimeraient pouvoir l’assoir dans la chaise. Mais rien n’y fait. L’un d’eux étire le cou vers nous comme une oie curieuse.

Nous passons l’embrasure de la porte avec la vigueur d’un kamikaze. La tempête nous happe alors que nous nous enfonçons dans l’hiver rageur.


Tout n’est qu’agression ce soir. Nous courbons le dos, résilients.